La gestion du calendrier promet une importance cruciale pour la poursuite de la lutte entre le président français et les politiciens libanais, les arc-boutés sur le statu quo.
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Emmanuel Macron et Michel Aoun, 1er septembre à Beyrouth (Gonzalo Fuentes, AFP)
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Les politiciens libanais oublient volontiers leurs divergences pour défendre le statu quo confessionnel dont ils sont les principaux bénéficiaires. En octobre dernier, avec le défi sans précédent d’un tel régime communautaire, ils ont joué l’essoufflement en mobilisant la population, puis avec des restrictions liées au coronavirus. La visite d’Emmanuel Macron le 6 août, au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, a été d’autant plus courte que le président français a été chaleureusement accueilli par les gens sur les lieux de la catastrophe. Ils n’auraient pas pu y aller et prendre la fureur de leur Compatriotes, colère qui a conduit à la démission du gouvernement le 10 août. Les chefs d’État et de gouvernement entamèrent alors une course lente, de sorte que Macron, en l’absence d’un Premier ministre, renonce à son engagement de retourner à Beyrouth le 1er septembre. Mais le président français a bien fait, ouvrant une longue force avec la caste dirigeante au Liban.
LE PARI FRANÇAIS SUR L’AIDE CALDER
Peu avant le retour de Macron à Beyrouth, les parties libanaises ont convenu d’appeler Mustapha Adib comme chef du gouvernement. Ils tentent de mettre le président français dans le piège en accréditant la fable d’un affaiblissement du nouveau Premier ministre par Paris. L’Elysée a balayé de telles rumeurs en campant sur sa ligne avec une « exigence sans ingérence », ne serait-ce que pour faire taire les accusations de « néocolonialisme ». De l’autre De son côté, Macron Beyrouth a approuvé les autorités politiques de toutes les forces dans un délai de deux semaines pour la pleine mise en place d’un « gouvernement de mission ». En plus de soutenir les victimes de la catastrophe et de la reconstruction du port, il confie la tâche d’assurer « la réforme de l’électricité, le contrôle des capitaux, la gouvernance juridique et financière, la lutte contre la corruption et la contrebande, et la réforme des marchés publics ». Avec ce sens volontaire, il espère rompre les manœuvres de dilatation consacrées par ses interlocuteurs libanais au mois d’août.
C’ est le calendrier de décaissement de l’aide internationale qui est le principal levier d’un tel équilibre des forces. Le 9 août, Macron a organisé une vidéoconférence en solidarité avec le Liban depuis le fort de Brégançon avec plus de 250 millions d’euros d’engagements. Depuis 2018, il accueille l’International Groupe d’appui au Liban (GISL) à Paris, dont les donateurs se conforment à l’absence de progrès significatifs dans les réformes du pays. Le président français a annoncé la tenue de deux conférences à Paris en octobre, dont l’une est chargée du suivi de l’aide d’urgence et des réformes matérielles attendues par le Liban. Dans les deux cas, il dit qu’il n’y aura pas de « charte » : « La demande commence maintenant et je ne vous laisserai pas partir. » Macron annonce qu’il reviendra à Beyrouth en décembre pour mieux souligner sa détermination.
LES ÉPAVEURS DU LIBAN
La clique dirigeante a toujours su tirer le meilleur parti des tragédies collectives au Liban et se montrer le médiateur engagé de la solidarité internationale, même si elle devait y participer. Le président Aoun, qui, selon Alain Frachon, dans « Le Monde » « comme l’un des fosseurs de l’Etat libanais restera dans l’histoire », est en effet le chef d’un tel cartel du pire, ce qui conduit à une hostilité virulente parmi la population libanaise. Aoun, dûment informé des dangers du nitrate stocké dans le port de Beyrouth, fait tout son possible pour enterrer une enquête sérieuse sur cette question. Et il a récemment voté en faveur d’un « état civil » au Liban, une déclaration qui n’a pas été correctement traduite dans la presse française dans son engagement en faveur d’un « État laïque », alors qu’il ne s’agit que de « civiliser » les aspects les plus choquants du système confessionnel.
Le président libanais, cependant, n’est que la figure dominante d’une clique qui a amené le Liban dans la catastrophe actuelle année après année. Une clique qui voit même des occasions de s’échapper dans ce naufrage, encore une fois au détriment de la la communauté nationale. Le Hezbollah pro-iranien s’est déjà préparé à une faillite généralisée afin de renforcer l’emprise sur la communauté chiite. L’effondrement économique devient un exil de femmes et d’hommes désespérés qui peuvent monétiser leur capital social ou culturel à l’extérieur du pays. Cet exode des capacités libanaises permet aux condamnés de rester encore plus dépendants des réseaux de dirigeants sectaires et de la loyauté clientélistique des différents chefs de groupe. Le parallèle est révélateur avec le régime Assad, avec lequel plusieurs de ces dirigeants, dont celui du Hezbollah, sont organiquement liés. A Damas à travers la guerre, à Beyrouth par l’insolvabilité, le système précédent se débarrasse de la classe moyenne, même de la jeunesse qui est devenue trop critique. Dans les deux cas, un certain discours « souverainiste » justifie un tel sacrifice de l’avenir d’une population de maintenir la domination sans partager la clique au pouvoir.
Macron s’appuie sur une dynamique vertueuse dans laquelle les réformes administratives et financières obligeront le régime libanais à opérer son aggiornamento. Il s’est donc abstenu de voter pour reprendre son appel du 6 août en faveur d’un « nouveau pacte politique », d’envisager des élections anticipées ou de remettre en question le confessionnalisme d’État. Il a souligné que son initiative est la « dernière chance pour le système ». De cette façon, il se retrouve dans un cantilever avec un défi qui ne nécessite pas un « gouvernement de mission », mais un « gouvernement de transition » avec des pouvoirs législatifs exceptionnels pendant dix-huit mois. C’est parce que le président français prend le risque de s’appuyer sur les dirigeants du scandale libanais pour les rejoindre dans un sortie de la crise.
Pour l’Elysée, le processus de vérité au Liban ne fait que commencer.